POPULATION ACTIVE
Les secteurs de l'industrie et leurs ouvriers
par François Eymard-Duvernay
Chacun pressent que dans l'automobile, dans les grandes entreprises, en zone urbaine d'une part, dans l'habillement, dans les petites unités, en campagne d'autre part, la main-d'œuvre ouvrière n'est pas la même. On étudie ici de façon approfondie toutes ces différences.
Hommes ou femmes, ouvriers qualifiés ou non qualifiés, anciens ou récents : suivant les secteurs chacune de ces catégories a une importance numérique très variable. Deux « pôles » principaux se dégagent. D'un côté les secteurs où il y a beaucoup d'hommes anciens : le pétrole, l'électricité, la construction navale et l'aéronautique en sont des exemples. A l'autre pôle, les industries de consommation traditionnelles emploient beaucoup d'ouvrières qui travaillent depuis peu dans leur entreprise.
U semble que derrière cette typologie on puisse repérer des différences de nature institutionnelle : d'un côté se serait mis progressivement en place un système de règles, implicites ou explicites, qui organisent la gestion de la main-d'œuvre. De l'autre, la gestion serait beaucoup plus « individualisée ». Mais là, les chiffres nesuffisent plus.
Quoi qu'il en soit, cette typologie éclaire la forme que prennent les cycles de productivité : lorsque la main- d'œuvre est ancienne et qualifiée, l'emploi est plus rigide.
productivité et explique assez largement le déplacement qui a pu être observé dans le partage salaires-profits aux dépens de ces derniers.
L'objet du présent article est d'éclairer la signification de ces « retards » en les mettant en relation avec les modes de gestion de la main-d'œuvre. Ce faisant, on est conduit à transformer sensiblement l'optique de départ : les désajuste- ments entre les évolutions d'emploi et de production, plus que de simples « retards », traduisent le fait que l'évolution de l'emploi ne peut être expliquée par la seule évolution de la production, qu'il y a des facteurs autres qui renvoient à des logiques spécifiques d'évolution de l'emploi. L'histoire des entreprises et des branches d'activité induit certaines caractéristiques dans le mode d'intégration de la main- d'œuvre à l'emploi. Au cours de cette histoire se constitue un système de règles (concernant les conditions d'embauché, de licenciement, la fixation du salaire, de la durée du travail, etc.) qui sont ou non consacrées par le droit (droit du travail, conventions collectives) 2. Par ailleurs, des contraintes spécifiques découlent du type de main-d'œuvre qu'emploie l'entreprise. Par exemple une entreprise dont la main-d'œuvre est très ancienne sera contrainte, de ce fait, dans ses évolutions d'emploi. Une PME (petite ou moyenne entreprise) située dans une zone rurale pourra être limitée dans ses licenciements (conservation d'un équilibre social local) comme dans ses embauches (marché
Fréquemment, l'évolution de l'emploi est expliquée par celle de la production, référence étant faite à la productivité du travail ou, de façon plus complexe, à une fonction de production. L'emploi « suit » donc la production avec cependant un délai d'ajustement 1. Le décalage temporel qui en résulte entre évolution de l'emploi et évolution de la production a des effets importants en cas de rupture de tendance : le « retard » dans l'adaptation de l'emploi à partir de 1974-1975 a provoqué une chute sensible de la
* François Eymard-Duvernay fait partie de la division « Études des entreprises » du département « Entreprises » de l'INSEE. Les nombres entre crochets, [ ], renvoient à la bibliographie en fin d'article. 1. Ce délai d'ajustement est à l'origine de ce que l'on a appelé le « cycle de productivité » (voir par exemple le modèle DMS [î]). 2. On rejoint là les analyses faites autour de la notion de « rapport salarial » [2].
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