REVUE DE VJ EOGRAPHIE DE LYON VOL 69 1/94

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Zbigniew GASOWSKI

L'enfoncement du lit de la Loire

Le développement économique récent, que certains qualifient de "bien-être", a souvent été mesuré en mètres cubes de béton. Pour satisfaire la demande, on a puisé de manière abusive dans les ressources alluvionnaires du fleuve Loire en négligeant la valeur économique du sable. Le prix des matériaux a été déterminé surtout par le coût du transport, ce qui explique que les extractions se placent près des grandes agglomérations (fig. 1). De plus, on a utilisé les sables de la Loire, d'une qualité exceptionnelle, à des fins banales comme les remblais. La Loire, fleuve à fond mobile qui évolue naturellement au fil des ans, a pu supporter le prélèvement de certaines quantités renouvelables. Toutefois l'importance excessive des extractions de sables dans le lit mineur au cours des récentes décennies a brutalement accéléré cette évolution et a provoqué dans certains secteurs un fort déséquilibre entre la quantité extraite et la quantité naturellement reconstituée ; il en est résulté un abaissement de la ligne d'eau en étiage.

Mise en évidence du phénomène d'enfoncement du lit

Une première étude du suivi de l'évolution du lit de la Loire du milieu du 19ème siècle à 1978 a été réalisée par le Service Hydrologique Centralisateur (SHC) en 1979. Elle a consisté en l'établissement des relations "hauteur-débit" pour quelques dates de référence (1860, 1900, 1978 et 1988). Ce travail a été fait pour une cinquantaine d'échelles hydrométriques réparties sur 450 km de fleuve, entre le Bec d'Allier et Ancenis. A titre d'exemple, la comparaison des cotes pour le même débit traduit l'évolution de la ligne d'eau de la Loire à Tours (fig. 2). La ligne horizontale (fig. 3) sert de référence pour une évaluation du changement; la topographie actuelle est comparée à la ligne d'eau de crue de 1856 tandis que les lignes d'eau d'étiage de 1978 et 1988 sont comparées à celle de 1900.

Les résultats de cette étude ont montré un fort abaissement du niveau de la Loire en basses eaux sur pratiquement toute la section étudiée. Toutefois ces valeurs moyennes cachent de fortes irrégularités. On a enregistré le plus fort abaissement au voisinage des grandes villes, comme à Orléans (à Mareau-aux-Prés, l'abaissement est de 150 centimètres depuis 1856), à Tours avec presque 2 mètres et à Ancenis avec plus de 3 mètres. Font exception quelques points, constitués de seuils naturels ou artificiels, sur les tronçons de Briare, Amboise et St-Mathurin. On a surtout constaté l'amplification récente du phénomène, ce que résume le tableau ci-dessous relatif à

la traversée de la Loire dans le département de la Nièvre (78 km). (Tableau 1)

La comparaison des profils en travers en aval d'Orléans réalisés en 1864-1865 et 1975 fournit une autre image du phénomène (fig. 4a et 4b). Contrairement à ce que l'on pouvait penser, l'abaissement du fond du lit mineur ne correspond pas forcément à une amélioration du passage de la crue si les bras secondaires, trop souvent dénoyés, s'encombrent de végétation et perdent leur capacité d'écoulement, (fig. 5 ). En effet, d'après le modèle mathématique d'écoulement de la crue de 1856 entre le confluent de l'Allier et celui de l'Oudon en Basse Loire, réalisé par la "SOGREAH" en 1981, on note un abaissement du niveau des fortes crues sur les deux tiers de la section mais un rehaussement ou une stabilisation du niveau de la crue sur le tiers restant ; ils sont dûs pour l'essentiel à une végétalisation accrue dans les secteurs compris entre le Bec d'Allier et Cosne et entre Saint-Mathurin et Montjean.

Les causes du changement de la géométrie fluviale

Le prélèvement des matériaux alluvionnaires n'est pas le seul responsable de l'abaissement du niveau d'étiage. D'autres facteurs sont à prendre en considération, sans qu'ils aient la même importance. La création d'un chenal navigable sur la Loire Moyenne vers le milieu du I9ème siècle et sur la Basse Loire au début du 20ème siècle, a fortement contribué à l'abaissement du niveau des basses eaux, (fig. 6). A Orléans, la construction de la "dhuit" ou digue longitudinale, a provoqué une descente du niveau du fleuve en étiage de 84 cm entre 1847 et 1868. Toutefois, en raison du déclin de la navigation, ces types de travaux, à quelques exceptions près, n'ont pas été renouvelés après la 1ère guerre mondiale, et leurs effets se sont estompés depuis longtemps. La construction des barrages dans le haut bassin a eu un impact très important sur les transports de matériaux en aval de ces ouvrages. Toutefois leur influence sur la Loire moyenne est faible car ces ouvrages contrôlent une superficie de bassin réduite et car la part des matériaux originaires du Massif Central est faible en aval du confluent de l'Allier. Selon Y. Babonnaux (1970), l'analyse pétrographique et minéralogique des alluvions de la Loire, réalisée avant la construction des grands barrages comme Villerest et Grangent, montre la décroissance vers l'aval de l'importance relative des roches volcaniques issues du haut bassin. En effet, la classe des gravillons représente 26 % des éléments du lit du fleuve à Roanne, 16 % à