Jean PETITOT EHESS, CREA
SYNTAXE TOPOLOGIQUE ET GRAMMAIRE COGNITIVE 1
Introduction
On connaît la célèbre affirmation de Claude Lévi-Strauss : « les sciences humaines seront structurales ou ne seront pas ». Nous aimerions lui en adjoindre une autre : « les sciences humaines seront des sciences naturelles ou ne seront pas ». Evidemment, sauf à en revenir à un réductionnisme dogmatique, une telle affirmation n'est eoutenable que si l'on peut suffisamment généraliser le concept classique de « natu- ralité », jusqu'à y intégrer, comme des phénomènes naturels, les phénomènes d'organisation structurale.
Tel est l'une des intentions principales du programme de recherche de la Morphodynamique développé à la suite des propositions et des travaux de René Thom. Comme nous l'avons montré dans un certain nombre de nos précédents travaux 2, à partir du moment où l'on dispose d'une théorie naturaliste des processus de production des formes naturelles ainsi que d'une modélisation mathématique appropriée (i.e. compatible aux théories physiques des substrats matériels où s'implantent et d'où émergent ces formes), il devient possible d'élaborer un structuralisme dynamique et génétique permettant de rendre compte de l'émergence des structures.
Parce que naturalistes et dynamiques, de telles approches modifient profondément l'épistémologie des disciplines structurales. En effet, celles-ci ont toujours vécu sur l'idée (au fond néo-aristotélicienne) que les structures émanent d'une « forme » purement relationnelle qui s'implante dans une « matière » amorphe lui étant ontologiquement étrangère. Il y a là un dualisme forme / matière — dualisme à l'origine du postulat structuraliste bien connu du primat ontologique de la forme sur la matière — que vient remettre en cause une science naturaliste des structures. Notre idée fondamentale est que la forme est le phénomène de Г (auto) -organisation de la matière, autrement dit que la substance n'est pas une matière (une hylé) où vient s'implanter une forme ontologiquement autonome mais bien plutôt une matière (un substrat) dynamiquement (auto)-organisée.
Pour qualifier ce passage opéré par le structuralisme dynamique d'un idéalisme formaliste — à base logico-algébrique — à un naturalisme non réductionniste — mais
1. Ce travail est issu du Séminaire sur Le Structuralisme dynamique de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales que nous coordonnons avec Jean-Claude Coquet. Une version préliminaire en a été présentée et discutée lors de la première Journée d'Etude (9 novembre 1990) du Groupement de Recherche CNRS Sciences Cognitives de Paris dirigé par Jean-Pierre Desclés et coordonné par Georges Vignaux. Il a pu être approfondi lors d'un séjour au Seminar on General Semiotics de l'Université d'Aarhus dont Per Aage Brandt est le responsable. Sa version anglaise a été présentée à Y International Center for Semiotic and Cognitive Studies de l'Université de San Marino lors du Workshop Motivation in Language (12-14 décembre 1990). Je remercie Umberto Eco, Mark Johnson, George Lakoff, Leonard Talmy et Patrizia Violi pour les discussions enrichissantes que j'ai pu avoir avec eux à cette occasion. 2. Cf. notre bibliographie.
97