L'EXPLOSION URBAINE ET LA THÉORIE DU DÉVELOPPEMENT
Cinq propositions de recherche
par Ignacy Sachs*
Reportons-nous à la description classique de la révolution urbaine survenue en Mésopotamie au cours du IIIe millénaire avant notre ère1. La croissance des villes a été rendue possible par l'émergence d'un important surplus agricole sous l'effet conjugué des conditions exceptionnelles de fertilité des vallées de l'Euphrate et du Tigre, des progrès techniques en métallurgie et transport et d'une organisation sociale capable de concentrer ce surplus — socialement dans les mains d'une minorité et spatialement à l'intérieur de l'enceinte urbaine. Comme l'écrit Gordon Childe « cette concentration était sans aucun doute nécessaire pour accumuler à partir des contributions individuelles, petites dans l'absolu, les réserves compatibles avec les grandes tâches imposées à la société civilisée ».
Depuis bientôt cinq millénaires, les villes n'ont cessé d'accumuler une part importante du surplus produit par les campagnes. L'histoire économique de l'humanité peut se lire au travers des différentes modalités d'appropriations de ce surplus2 par les villes et des usages auxquels il se destine : saccage, tributs, impôts, prix relatifs, investissement des capitaux d'une part et de l'autre financement des services publics, des infrastructures, de la ville elle-même, des industries qui y sont localisées, de la consommation somptuaire des élites, du panem et cir censes pour la plèbe dans Rome impériale et telle ou telle autre capitale populiste de nos jours.
* Directeur du Centre International de Recherche sur l'Environnement et le Développement. 1. Gordon Childe, What happened in History, Harmondsworth, Penguin Books, 1942. 2. Le terme « surplus » prête à confusion en ce sens qu'il s'agit souvent d'un prélèvement sur le produit qui prive les producteurs d'une partie de leur consommation essentielle.
Revue Tiers Monde, t. XXV, n» 100, Octobre-Décembre 1984