LA CORRUPTION ET LA COMMUNAUTE.

CONTRE UNE ANALYSE CULTURALISTE DE L'ÉCONOMIE CHINOISE

par Jean-Louis Rocca*

La vogue actuelle de l'asiatisme conduit à un renouveau des analyses culturalistes. Les dirigeants et les chercheurs chinois insistent sur la spécificité de l'espace extrême-oriental. Les observateurs étrangers annoncent l'émergence d'un néo-confucianisme et font de la figure du communautarisme la clef de la compréhension de la société chinoise. L'analyse de l'économie et de la corruption que développe Jacques Andrieu (cf. article précédent de ce numéro) rejoint tout à fait ces prémisses théoriques. Que dit-il ? Que la Chine est en proie à un phénomène de criminalisation des détenteurs de pouvoir. L'État est en pleine déliquescence, il n'est plus que le mafieux en chef d'un système social organisé autour de mafias régionales et bureaucratiques. La morale publique a disparu et les individus recherchent essentiellement la satisfaction des intérêts de leur groupe. La raison de ce phénomène tiendrait à l'accaparement de l'économie par les bureaucrates. Le rôle déterminant des relations personnelles (guanxi) et du localisme dans les rapports économiques démontre la prépondérance des communautés comme modes exclusifs de référence. La Chine ne serait pas en proie au chaos mais au retour de ses mauvais génies traditionnels. Le contraste culturel est encore renforcé par la comparaison avec l'Occident où, à la différence de la Chine, domineraient les referents universels et le respect du bien public. A cette vision culturaliste s'ajoute un a priori organiciste. La société chinoise est envisagée comme un organisme, constitué de cellules, suscitant naturellement ses propres dérèglements et ses propres défenses, en bref un système clos.

Cette analyse s'appuie sur les résultats d'un certain nombre de tra-

Revue Tiers Monde, L XXXVII, n° 147, juillet-septembre 1996