CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1La production scientifique est distribuée très inégalement sur la population des chercheurs, c’est-à-dire que quelques chercheurs publient un très grand nombre d’articles alors qu’un très grand nombre de chercheurs publient peu. Depuis la contribution séminale de Lotka [1926], nous savons que cette distribution très étroite peut en général être bien approximée par une loi puissance inverse (power law)[1]. De nombreuses vérifications empiriques ont été réalisées dans divers champs disciplinaires donnant lieu à des paramétrisations différentes mais confirmant toujours la forme générale de la distribution : e.g. Murphy [1973] pour les Sciences humaines, Radhakrishnan et Kernizan [1979] en Informatique, Chung et Cox [1990] en Finance, Cox et Chung [1991] en Économie, Newman [2000] en Physique et en Médecine, Barabasi et al. [2001] en Mathématiques et en Neuro-sciences, etc.

2Comment ces différences radicales de productivité des chercheurs peuvent-elles s’expliquer ? Deux explications peuvent être envisagées. Selon la première, les caractéristiques des individus (données, par exemple, par les paramètres du talent ou de la désutilité de l’effort) seraient à la base de ces divergences. Selon une deuxième explication, les chercheurs sont traités de manière dynamiquement différenciée par le système de la science : les chercheurs les plus réputés bénéficient de conditions de recherche (disponibilité des fonds de recherche, opportunités de collaboration, disponibilité d’instrumentation, etc.) et de valorisation de leurs recherches (facilités de publication, meilleure diffusion dans la communauté, etc.) plus avantageuses. Ces différences génèrent un processus cumulatif qui va affecter la compétition entre scientifiques (David [1994]), au sens où les chercheurs qui ont été les plus productifs vont pouvoir bénéficier de conditions favorisant une plus grande productivité. D’un point de vue économétrique, il est particulièrement difficile de faire la part des deux effets. Des études sur données longitudinales qui permettent de suivre dans le temps les trajectoires idiosyncratiques de production des chercheurs et leurs déterminants semblent néanmoins supporter l’existence d’avantages cumulatifs. Allison et Stewart [1974] concluent avoir trouvé « a clear substantial rise in inequality for both [the number of research publications in the preceding five years and the number of citations to previously published work] from the younger to the older strata, strongly supporting the accumulative advantage hypotheses ».

3Le fondateur de la sociologie des sciences, R.K. Merton, a le premier décrit des processus d’avantage cumulatif en science [2],[3] qu’il rassemble sous la dénomination commune d’effet Saint Matthieu (St Matthew effect). Merton fait ainsi référence à saint Matthieu en raison d’un passage de son Évangile où est énoncé : « Celui qui a, on lui donnera et il aura un surplus, mais celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera enlevé. » Dans le présent article, nous présentons une première tentative de modélisation de cet effet Saint Matthieu. Pour cela nous utilisons une structure de modélisation voisine de celle des modèles de tournois biaisés (biased contests) initialement développés pour représenter des phénomènes d’enchères séquentielles (Laffont et Tirole [1988]), de défaut de mesure des performances des agents au sein des firmes (Milgrom et Roberts [1988] ; Prendergast et Topel [1996]), de carrières dynamiquement nivelées dans l’entreprise (late-beginner effect pour Chiappori et al. [1999]) ou à l’inverse de promotions dynamiquement corrélées (fast track, Meyer [1991, 1992]). Cette dernière contribution présente plusieurs points communs avec notre modèle.

4Dans notre modèle, des employeurs (universités ou organismes de recherche) prennent des décisions de recrutement sur la base d’une comparaison entre les profils de production scientifique des candidats. Les employeurs ne disposent pas de l’information sur les efforts préalables des agents. En outre, si les employeurs se contentent d’une mesure ordinale et ne se réfèrent pas à l’information cardinale sur la production scientifique, c’est soit que celle-ci est difficilement appréciable, soit que la nature même du mode de recrutement les empêche de moduler leurs offres en fonction de cette variable. Les employeurs disposent d’un emploi donné avec des attributs fixes qu’ils se contentent de pourvoir du mieux possible. Ces attributs (les niveaux de rémunération et de productivité associés) sont hétérogènes. Plus précisément, des agents sont en compétition pour des postes de chercheurs « juniors » puis de chercheurs « seniors » qui se caractérisent par des niveaux de salaire et de productivité associée différents. L’agent qui a été le plus productif à la première étape est sélectionné par l’université qui propose l’emploi auquel est associée la plus grande utilité espérée [4]. Or cette dernière augmente les chances de l’agent d’obtenir à nouveau un poste qui offre un meilleur salaire. Dans ce cadre, un biais dynamique avantage, lors de la deuxième compétition, les chercheurs qui ont été les plus productifs à la première : on parle alors d’avantage cumulatif ou effet Saint Matthieu.

5La principale question traitée dans notre article a trait aux effets incitatifs de cette structure de compétition dynamiquement biaisée. Elle a été abordée, pour la première fois, dans des travaux de sociologie des sciences (Zuckerman et Merton [1972] ; Allison et Stewart [1974]). Zuckerman et Merton [1972] ont, les premiers, montré que les avantages cumulatifs modifient les efforts fournis par les agents en influant sur la structure d’incitation. Les observations empiriques de Allison et Stewart [1974] montrent que les chercheurs vont perdurer dans leurs efforts lorsqu’ils se trouvent en meilleure position, alors qu’ils auront tendance à les relâcher lorsqu’ils ont moins de chances de les voir récompensés. Cette observation concerne les comportements des chercheurs à un stade avancé de leur carrière. Une question symétrique concernant les comportements des chercheurs au début de leur carrière peut alors être soulevée. Quels sont les efforts déployés par les chercheurs dans les premières années de leur activité sachant qu’ils vont être traités différemment dans le reste de leur carrière conditionnellement à leurs succès initiaux ? Il est clair que les chercheurs vont augmenter leurs efforts dans les premières années de manière à être mis en position favorable dans les compétitions futures.

6Dès lors, le problème essentiel a trait au solde des effets incitatifs en présence d’une compétition dynamiquement biaisée. Pour le dire autrement, est-ce que le surcroît d’incitation dans les premières années imputable à l’introduction d’un biais dynamique, domine ou est dominé par l’effet désincitatif du biais dans les dernières périodes ? À notre connaissance, les conséquences de l’effet Saint Matthieu sur les efforts de recherche n’ont pas encore été formellement étudiées (même s’il est généralement considéré que cet effet est globalement désincitatif). S’il est clair que les incitations seront renforcées dans les premières années d’exercice, elles seront aussi amoindries dans les dernières années. La question du solde des effets incitatifs reste donc encore ouverte. Notre modèle nous permet de répondre à cette question et de montrer qu’il existe un biais dynamique optimal. Sous certaines spécifications usuelles, nous calculons ce niveau optimal d’effet Saint Matthieu et nous établissons qu’il croît linéairement avec le caractère risqué de la recherche. Ces conclusions peuvent apporter un éclairage particulier, privilégiant la question des incitations offertes aux chercheurs, aux débats de politique scientifique qui animent les décideurs publics et les communautés de chercheurs relativement à la distribution plus ou moins inégales des moyens entres les différents unités des systèmes nationaux de recherche.

7L’article est organisé de la manière suivante. Dans la prochaine section, nous présentons une série de résultats empiriques suggérant que la combinaison de l’environnement immédiat de travail et du mode de recrutement/mobilité pourraient constituer une source importante d’avantage cumulatif. Nous décrivons ensuite la structure de la compétition et les principaux traits du modèle. La quatrième section analyse la manière dont les efforts d’équilibre des agents sont affectés par l’introduction de biais statiques (indépendants des résultats intermédiaires). La cinquième section décrit les comportements des agents lorsqu’un biais dynamique est introduit, favorisant à la seconde période l’agent qui a obtenu le poste de recherche convoité à la première étape. Dans la sixième section, nous étudions les effets des avantages cumulatifs sur les efforts fournis aux deux périodes, puis dérivons le biais optimal. La conclusion résume les résultats obtenus, propose des enseignements relatifs au management de la science et discute les limites du modèle.

Promotion, mobilité et hétérogénéité des « positions » académiques

8Parmi les facteurs qui affectent la productivité des chercheurs, certains peuvent être associés aux caractéristiques de l’environnement immédiat de travail. Il faut en effet constater que les universités, tout comme les emplois qu’elles proposent, sont hétérogènes. Les universités prestigieuses disposent le plus souvent de moyens en termes d’instrumentation qui ne sont pas accessibles aux institutions moins réputées (Stephan [1996]). De plus, la réputation de l’institution de rattachement joue généralement comme un signal des capacités des chercheurs, leur permettant de disposer d’un avantage dans la collecte des fonds de recherche et dans la diffusion de leurs résultats dans la communauté (Cole [1970]) [5]. À cet égard, Hansen et al. [1978] ont montré que la qualité de l’université est la variable discriminante essentielle dans la production des chercheurs. L’étude détaillée de Cole et Cole [1973], portant sur un échantillon de 120 physiciens, indique aussi l’importance de la qualité du département universitaire. De plus, la nature de l’emploi occupé joue aussi sur ces différents effets. Ainsi, Waldman [1990] a avancé l’idée selon laquelle l’octroi de la « tenure » aux États-Unis agissait comme un signal des capacités des chercheurs. En France, même si aucune étude empirique systématique n’est venue confirmer cette hypothèse, le fait d’occuper un poste de directeur de recherches (vs. chargé de recherches) ou de professeur (vs. maître de conférences) pourrait faciliter l’accès aux ressources (financières, humaines) [6].

9Or, l’attribution de ces postes, soit sous la forme de promotions internes, soit sous la forme d’embauches (Garner [1979]), est réalisée principalement sur la base de la production scientifique. Les chercheurs pouvant faire état de la plus forte production passée sont ceux qui pourront bénéficier des emplois auxquels est associée une plus forte productivité. Aussi, la compétition est-elle dynamiquement biaisée par un avantage cumulatif au sens de Merton [1968, 1988], puisque les premiers succès entraînent une hausse de productivité facilitant les succès ultérieurs. Dans ce cadre, c’est dans la nature même de la relation salariale que se trouve une des sources de l’effet Saint Matthieu. En effet, si les employeurs sont conduits à se fier aux niveaux de production passée des agents pour procéder à leurs décisions de promotion ou d’embauche, c’est que les informations nécessaires ayant trait aux efforts et aux capacités des agents leur sont indisponibles. Or, dans le cas d’une promotion interne, si les efforts et les capacités propres des individus pouvaient être observables et contractualisables, l’attribution des promotions se ferait sur la base de ces informations, ce qui aurait pour conséquence d’annuler l’effet cumulatif. Parallèlement, lorsqu’il s’agit d’une embauche, les universités, qui ne peuvent observer les capacités propres des agents, fondent leurs décisions sur la base de la production passée de ces derniers.

10Les résultats de l’étude de Ault, Rutman et Stevenson [1978, 1982] portant sur la mobilité des chercheurs académiques semblent congruents avec cette analyse. En effet, ayant analysé les parcours de carrière de plus de 3 800 économistes ayant soutenu leur thèse aux États-Unis, ces derniers ont montré que le principal facteur déterminant la qualité de l’institution du premier poste académique est la qualité de l’institution universitaire où ont été réalisées les études universitaires (aux niveaux undergraduate et graduate) et la qualité de celle où la thèse a été soutenue. En outre, ils montrent qu’un différentiel positif de qualité entre l’institution d’arrivée et l’institution de départ (qu’ils nomment upward mobility) est expliqué principalement par les publications même si l’effet reste limité. Dans les deux cas, les agents qui ont le plus haut niveau de production passée vont bénéficier des postes de recherche qui offrent le plus haut niveau de productivité associée. À cet égard, Zivney et Bertin [1992] montrent aussi que les chercheurs qui sont tenured dans les vingt-cinq départements de Finance les plus réputés des universités américaines, ont préalablement sensiblement plus publié que la moyenne des chercheurs bénéficiant de la même promotion.

Structure de la compétition académique : le modèle

11La structure de la compétition est la suivante : deux chercheurs {i, j} vivent trois périodes au cours desquelles ils produisent un output de recherche. Au terme de la première période, les agents candidatent à des postes de chercheurs « juniors » proposés par les deux universités (ou les deux laboratoires) en présence {h, l}. L’attribution de ces postes se fait sur la base du classement des chercheurs selon leur production scientifique réalisée à la période précédente. Ces postes sont hétérogènes en cela qu’ils se distinguent à la fois par des niveaux de productivité et de rémunération différents. Le chercheur qui a été le plus productif lors de la première période va pouvoir disposer du poste le mieux rémunéré qui est aussi celui auquel est associé le plus fort niveau de productivité (proposé par l’université h). Au terme de la seconde période, les mêmes agents candidatent sur des postes de chercheurs « seniors » qui présentent aussi des niveaux de rémunération différents. Les chercheurs qui ont été les plus productifs à la période précédente bénéficieront des postes les mieux rémunérés. L’université h qui propose à chaque étape le salaire le plus élevé sélectionne le candidat qui s’est révélé le plus productif, l’autre étant embauché par l’université l qui propose le salaire le plus bas.

12La compétition est biaisée de deux manières différentes : i) les agents peuvent être dotés d’avantages relatifs aux deux périodes qui sont donnés et connus dès la première période du jeu ; ii) un biais dynamique favorise le gagnant du premier jeu à la seconde étape, dans une ampleur donnée et connue au début du jeu. Les salaires pour chaque poste de recherche aux deux périodes sont donnés et connus ex ante : ils ne sont pas négociés de gré à gré mais sont associés aux postes de recherche quelles que soient les productions effectives des agents (les universités ne disposant pas de l’information cardinale sur les productions des agents).

13Formellement, deux chercheurs sont en compétition (k = i, j). Ils sont en activité durant trois périodes, mais nous ne nous intéressons qu’aux deux premières périodes d’activité t = 1, 2. La production est supposée additivement séparable en effort fournis sur chacune de ces deux périodes. À la période t, elle est donnée par

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equation im1

15où il apparaît que ce produit est fonction de etk l’effort fourni par l’agent k à la période t, en faisant l’hypothèse que la fonction ft(.) est croissante et concave en effort : ft? > 0, ft? ? 0. Notons que les agents sont supposés avoir la même productivité de l’effort. Le terme ?tk est le choc aléatoire spécifique subi par l’agent k à la période t qui rend compte du caractère fortement incertain de l’activité de recherche. Soit ??t, la différence entre les chocs individuels à la période t : ??t ? ?ti – ?tj. Ces chocs aléatoires sont supposés indépendants d’un agent à l’autre et d’une période sur l’autre. On dénote respectivement par Gt(.) et par gt(.) la fonction de distribution cumulée et la fonction de densité de ??t. La densité est continûment différenciable, strictement positive sur [– ?, ?] et symétrique autour de son unique mode en 0. On définit par ?tk ? 0, la part de la production scientifique qui, tout en étant indépendante des efforts fournis par les agents, permet d’introduire des capacités hétérogènes selon les agents : ?ti ? ?tj. On définit par : ??t ? ?ti – ?tj, la différence de production à la date t entre l’agent i et l’agent j uniquement due à leur différence de capacité.

16Le terme ?tk donne la part de la production qui est uniquement imputable au contexte de travail dans lequel l’agent évolue. Sans perte de généralité, nous posons : ?tk ? {?th, ?tl}, k = i, j, avec ?tj ? ?ti. Ainsi, l’agent k va voir sa production en t augmentée de ?tk = ?tu lorsqu’il travaille à l’université u ? {h, l}. On pose ??t ? ?th – ?tl, ?t = 1, 2, les différences de production aux deux périodes entre les agents uniquement dues à l’environnement immédiat de travail. À la première période, c’est-à-dire lorsque l’agent est en thèse et avant qu’il n’ait obtenu son premier poste, ?1k est relatif à la qualité de l’encadrement, à la qualité des interactions avec les chercheurs confirmés et avec les autres étudiants en thèse, ou encore à la qualité de la formation doctorale. L’allocation des agents sur les deux lieux de recherche {h, l} à la première période est résumée par l’allocation initiale des additifs de production {?1h, ?1l} aux deux agents, sachant que l’on a par hypothèse ?1h ? ?1l. Cette allocation résume les conditions initiales du modèle.

17Hypothèse 1. Les différentiels de production ??1, ??2, et ??1 ne sont pas attribués sur la base des résultats intermédiaires de la compétition. Pour cette raison, ils sont qualifiées de biais statiques.

18Un tournoi est organisé par l’université h qui propose le salaire le plus élevé pour des postes de recherche aux niveaux « junior » et « senior ». Le chercheur qui aura réalisé la plus forte production au cours de la période précédente obtiendra le poste le mieux rémunéré, alors que l’autre sera embauché par l’université qui propose le salaire le moins élevé. Les revenus du perdant stl et du gagnant sth à chaque étape sont définis de la manière suivante : sth = wt + ?t et stl = wt + ?t. De telle sorte que wt est la moyenne des rémunérations à chaque étape, et 2 ?t est le différentiel de salaire entre les deux universités aux deux étapes (?t > 0). Ainsi, le total des coûts supportés par le système universitaire est donné par stw + stl = 2wt, qui est ainsi indépendant de la part variable des rémunérations.

19À la deuxième période, comme l’attribution des postes est uniquement fonction des résultats de la première compétition, on dit que l’allocation des {?2h, ?2l} aux agents ne dépend que de l’histoire du jeu. Formellement la règle d’attribution s’écrit de la manière suivante :

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equation im2

21avec ?2h ? ?2l. L’attribution des postes (et donc du différentiel de production ??2) est ainsi le vecteur par lequel l’avantage cumulatif peut intervenir dans le modèle.

22Hypothèse 2. L’agent qui bénéficiera du différentiel de production de deuxième période dû aux différences de qualité de l’environnement de travail (noté ??2) est choisi en fonction du classement de la compétition de première période (comme résumé par la règle donnée en (2)). Ce différentiel de production et sa règle d’attribution introduisent un avantage cumulatif affectant la compétition académique nommé effet Saint Matthieu. Il s’agit d’un biais dynamique dont l’ampleur est donnée par ??2 > 0.

23Les fonctions d’utilité des agents, qui sont averses au risque, sont additivement séparables entre les périodes de leur vie et au sein de chaque période, ainsi qu’en effort et en revenu. On suppose en outre que les agents n’ont pas accès aux marchés financiers, ne pouvant ni épargner ni emprunter, de sorte qu’ils consomment leurs revenus de chaque période à la période considérée. Ainsi, l’utilité totale de chaque agent, actualisée à la première période, est donnée par l’expression suivante :

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equation im3

25pour k = i, j, avec U(.) la fonction instantanée d’utilité [7], V(.) la désutilité de l’effort, et ?a le facteur d’actualisation des agents. Formellement, ?aU(s1k) est l’utilité de la période 2 retirée du salaire junior s1k, actualisée à la période 1. Le terme ?aU(s2k) représente l’utilité de la troisième période retirée du salaire senior s2k, actualisée à la deuxième période. La fonction d’utilité des agents U(.) : (0, ?) ? (– ?, ?), respecte les propriétés standard suivantes : U? > 0, U? ? 0 et equation im4. La fonction de désutilité de l’effort V(.) : (0, ?) ? (0, ?) est, elle aussi, supposée respecter les propriétés classiques : V(0) = 0, V?(0) = 0 ; V? > 0 et V? > 0 sur ?+ *, et equation im5. Les agents disposent d’une utilité de réserve exogène finie donnée par ?.

26Il nous faut enfin préciser que les employeurs ne peuvent fonder leurs décisions d’embauche sur la base des avantages relatifs dont ont bénéficié les agents (qu’ils sont supposés ignorer ou négliger). Les chercheurs connaissent, quant à eux, l’ampleur des différents biais. Ainsi, ils vont être conduits à prendre en considération, dès la première période, les conséquences du classement à la première étape du jeu sur la compétition de seconde étape. En outre, il faut observer que ce modèle n’introduit pas d’apprentissage progressif (par les universités) des capacités des agents. Ainsi, les questions relatives à la révélation de l’information privée sur les capacités hétérogènes des agents ne seront volontairement pas traitées ici. Nous nous concentrons sur les effets incitatifs des avantages cumulatifs.

Les effets incitatifs des biais statiques

27Dans cette section, nous nous concentrons sur les effets incitatifs des biais statiques, c’est-à-dire que nous n’introduisons pas à ce stade de corrélation entre les réussites aux différentes étapes (??2 = 0) qui sera prise en compte dans la section suivante. En outre, afin de simplifier les notations, nous considérerons que ??1 = 0 [8]. Ainsi, nous n’étudions ici que les effets incitatifs des différences de capacités des individus données avec les ??t. Nous présentons dans un premier temps l’équilibre de Nash à la seconde période puis l’équilibre de Nash à la première [9].

28À l’équilibre de Nash de seconde période, l’agent i choisit son niveau d’effort de deuxième période e2i, sachant celui de j, e2j de manière à maximiser son espérance d’utilité de deuxième période. Son programme est donc :

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equation im6

30L’espérance de gain de l’agent i actualisée à la période 1, conditionnellement à ses efforts et aux efforts de l’autre agent, est égale à la probabilité de gagner le second tournoi multipliée par l’utilité reçue s’il gagne le tournoi, plus la probabilité de perdre ce tournoi multipliée par l’utilité qu’il reçoit en perdant ce tournoi, nette de la désutilité de ses efforts. Un programme identique peut être posé pour j. La résolution simultanée de ces deux programmes (exposée en détail dans l’appendice technique), nous conduit à conclure que, si un équilibre de Nash existe, il est nécessairement symétrique et est donné par

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equation im7

32avec ?2, l’effort d’équilibre de Nash symétrique et avec la fonction ?2(.), telle que ?2(x) ? V?(x)/f2?(x). Comme g2(.), la fonction de densité distribuant les écarts de chocs aléatoires de deuxième période (??2) est supposée unimodale et symétrique, centrée autour de 0, ainsi g2(– ??2) est maximal pour ??2 = 0 et décroît quand |??2| augmente. Sachant que ?– 12 (comme ?2) est croissante, le niveau d’effort d’équilibre de Nash fournit par les agents à la deuxième période est maximal pour un biais nul et décroît avec le biais introduit à cette période ??2/?|??2| < 0. C’est-à-dire que les efforts d’équilibre à la deuxième période diminuent avec l’ampleur du biais statique de deuxième période. Plus les différences entre les agents sont fortes à la seconde période, plus faibles sont les efforts fournis par les agents, qu’ils soient favorisés ou défavorisés par le biais.

33Nous nous tournons maintenant vers les comportements des agents de première période, afin de constater les effets d’un biais statique de première période sur les efforts d’équilibre de Nash de première période. Comme l’issue de la première compétition n’affecte pas la deuxième, les résultats sont structurellement identiques à ceux obtenus à la deuxième période. Notons E[Wi|y1j > y1j] et E[Wj|y1j > y1i], les espérances d’utilité totale nettes de l’agent i puis de l’agent j sachant qu’ils ont gagné le tournoi de la première période (prenant en compte l’utilité retirée du traitement perçu aux deux périodes et le biais dans la seconde étape). De même, nous notons E[Wj|y1i > y1j] et E[Wi|y1j > y1i], leur espérance d’utilité respective lorsqu’ils ont perdu le premier tournoi. En utilisant ces notations, l’espérance d’utilité de l’agent i, conventionnellement bénéficiaire du biais ??1 à la première étape est donnée par

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equation im8

35Pour l’agent i, il s’agit de fixer son niveau d’effort de première période de manière à maximiser cette espérance de gain net :

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equation im9

37Le programme de maximisation de l’utilité espérée exposé ci-dessus est équivalent à celui formulé pour la deuxième période (cf. Appendice technique) en remplaçant les différences d’utilité ?U2 par ?W, la différence entre l’utilité espérée conditionnellement au gain de la première étape et l’utilité espérée conditionnellement à sa perte. On peut aisément montrer que ce terme est indépendant de l’identité du joueur :

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equation im10

39Ainsi, tout se passe comme à la deuxième période et l’équilibre de Nash de première période est symétrique et sont donnés par ?1 = ?– 11(?Wg1(??1)) [10] et qu’ils sont maximum lorsque ??1 = 0, et décroissants avec |??1|. En outre, comme la différence d’espérance d’utilité conditionnelle ?W est strictement positive, l’effort de première période sera croissant avec ?W. Les efforts consentis par les agents à la première période diminuent avec l’ampleur de leur différence de capacité telle qu’elle est donnée par ??1.

40La Proposition 1 résume les résultats obtenus dans cette section relatifs aux effets des biais statiques.

41Proposition 1. Les niveaux d’effort d’équilibre fournis par les agents à chaque période sont symétriques et décroissent avec les biais statiques introduits aux périodes du jeu considérées.

Les effets incitatifs de l’avantage cumulatif

42Rappelons que, comme indiqué dans l’Hypothèse 2, l’effet Saint Matthieu intervient dans la compétition académique à travers ??2 > 0, lorsqu’un biais de deuxième période avantage l’agent qui a gagné le premier tournoi. Nous n’étudions pas spécifiquement les comportements des agents de deuxième période puisqu’ils sont obtenus de manière identique à la section précédente. En revanche, les calculs de première période doivent désormais prendre en compte la modification de la compétition de deuxième période consécutive au classement de la première compétition. Nous utilisons donc la notion d’équilibre de Nash parfait en sous-jeux. Afin de nous concentrer sur les effets du biais dynamique sur les efforts d’équilibre aux deux périodes, nous supposons que ??t = 0. L’éventualité qu’un biais statique affecte le jeu à la première période à travers ??1 est en revanche conservée.

43L’équilibre de Nash à la seconde période, et l’équilibre de Nash parfait en sous-jeux à la première période sont donnés par

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equation im11

45L’appendice technique détaille comment ces efforts d’équilibre sont obtenus. Ils sont fonction de l’ampleur des biais ??1 et ??2. L’appendice montre aussi que le biais de seconde période offert au gagnant de la première période a un effet désincitatif à la deuxième période alors qu’il incite les agents à accentuer leurs efforts à la première période (??2/???2 ? 0, ??1/???2 > 0). Ces résultats, résumés dans la Proposition 2 ci-dessous, confirment l’intuition initiale de l’article suggérant qu’un biais dynamique stimule les efforts en début de carrière alors qu’il les diminue en fin de carrière. Cependant, la question du solde des effets reste entière. La section suivante est consacrée à l’étude de ce solde qui permet de dériver le biais dynamique optimal.

46Proposition 2. Un biais dynamique, introduit en deuxième période du jeu favorisant le gagnant de la première période, entraîne une augmentation des efforts d’équilibre à la première période et tend à diminuer les efforts de seconde période.

L’effet Saint Matthieu optimal

47Dans cette section, nous nous proposons d’étudier le solde des effets incitatifs du biais dynamique ??2. Pour cela, il est nécessaire d’introduire une fonction de valeur sociale de la production scientifique. Nous supposons qu’elle s’obtient simplement par la somme, actualisée à la période initiale, des productions des individus aux différentes périodes multipliées par un paramètre fixe ? > 0 qui indique la valeur sociale unitaire des connaissances produites supposées homogènes (ou normalisées). Nous avons :

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equation im12

49avec ?, le facteur d’actualisation social. Le bénéfice social par agent espéré et actualisé à la première période est donné par

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equation im13

51où (?1 + ??2) désigne les coût salariaux associés aux productions (y1i, y1j, y2i, y2j) actualisés à la première période au moyen du facteur d’escompte social ? [11]. Le bénéfice social est espéré à la première période, en ignorant la réalisation des variables aléatoires et avant que l’identité du bénéficiaire du biais ne soit déterminée. Nous avons donc :

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equation im14

53sachant que E[?1] = E[?2] = 0, en posant equation im15, avec equation im16 et equation im17, les valeurs moyennes des additifs de production dus respectivement aux capacités des agents et aux postes de travail : equation im18 et equation im19.

54À l’équilibre, les niveaux d’effort s’obtiennent eux-mêmes en fonction du biais dynamique introduit. Ainsi la valeur sociale nette espérée (par agent) à l’équilibre de première période peut s’écrire comme une fonction du biais dynamique : equation im20. Le biais dynamique socialement optimal est celui qui maximise le bénéfice social espéré. Il est donné par la réalisation du programme :

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equation im21

56Conformément à leurs propriétés énoncées dans la deuxième section, la fonction de désutilité de l’effort sera désormais supposée quadratique : equation im22 et les fonctions de production des connaissances sont supposées linéaires en effort, avec : f2(e) = ?f1(e) = ?ae. Le paramètre ? donne le rapport de productivité des agents entre les périodes (ou rapport de productivité senior/junior) : ? = f2(e)/f1(e). Si ? > 1, alors les agents voient la productivité de leur effort augmenter entre la première et la seconde période. Sous ces conditions, et comme il est précisément montré dans l’appendice technique, le biais optimal est uniquement fonction de la distribution des écarts des aléas affectant la production de connaissances, du facteur d’escompte des agents, du facteur d’escompte social, du biais initial et du rapport de productivité senior/junior. On constate notamment que le biais optimal devient indépendant de la structure de rémunération et notamment de l’écart de rémunération entre les deux postes aux deux étapes. Pour étudier plus précisément ce biais optimal et afin de mettre en évidence les conséquences du respect de la condition de second ordre, on admet que les écarts des aléas aux deux périodes sont régis par une distribution unique : gt(.) = g(.), ?t = 1, 2 ; et sont normalement distribués autour de 0 : ??t ? N(0, ?). En utilisant les expressions de g et g?, le biais optimal est donné par

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equation im23

58Ainsi, le biais dynamique optimal croît avec le facteur d’actualisation des agents (i.e. décroît avec leur préférence pour le présent) et décroît avec le facteur d’actualisation social. Le biais dynamique tendant à stimuler les efforts de première période, il est conforme à l’intuition que le biais optimal augmente avec la préférence sociale pour le présent. De plus, il croît avec l’écart-type de la distribution des écarts de chocs aléatoires affectant la production des individus. Ce point indique que plus la nature de la recherche est incertaine, plus le biais socialement optimal est grand. En outre, le biais optimal décroît avec le rapport de productivité des agents. Ce résultat peut s’expliquer de la manière suivante. Le biais tendant à augmenter les efforts de première période et à diminuer les efforts de deuxième période, plus la productivité des jeunes est forte (faible) relativement à celle des chercheurs seniors, plus le bais optimal est élevé (faible). Enfin, on constate que le biais dynamique doit aussi diminuer avec l’ampleur du biais de première période. En effet, la fonction de densité régulant la distribution des erreurs ayant un unique pic en 0, lorsque le biais initial augmente (quel que soit le sens de ce biais) g(??1) diminue. Ainsi, plus les inégalités de productivité provenant des conditions initiales du modèle (l’allocation initiale des agents sur des postes de travail auxquels sont associées des productivités différentes) sont importantes, moins le biais correspondant à l’effet Saint Matthieu doit être fort. Il est maximal lorsque ??1 = 0.

59La proposition 3 ci-dessous résume les différents résultats obtenus dans cette section.

60Proposition 3. L’introduction d’un avantage cumulatif (ou biais dynamique au sens de l’Hypothèse 2) affectant la compétition permet d’augmenter globalement la production académique. Sous certaines spécifications, le biais dynamique optimal (??2)* croît avec l’écart-type de la distribution des écarts de chocs affectant l’activité de recherche et avec le facteur d’actualisation des agents. Il décroît avec le facteur d’actualisation social, avec l’augmentation de la productivité des agents au cours de leur carrière ainsi qu’avec les inégalités initiales.

Conclusion

61Dans cet article, nous avons introduit une première formalisation permettant de traiter de l’effet Saint Matthieu, c’est-à-dire des avantages cumulatifs qui affectent la compétition académique. Nous avons avancé qu’une des sources de cet effet résidait dans la relation salariale dans la mesure où l’attribution des postes de recherche auxquels sont associés les niveaux de productivité les plus élevés est le plus souvent réalisée sur la base de la production scientifique passée. Ainsi, la compétition entre chercheurs académiques est dynamiquement biaisée. Le modèle proposé permet d’analyser les conséquences des avantages cumulatifs sur les incitations offertes aux agents au cours de leur carrière. Après avoir étudié les effets incitatifs des biais statiques (indépendants des résultats intermédiaires de la compétition), nous nous sommes concentré sur l’analyse des effets d’un biais dynamique avantageant, à la deuxième étape du jeu, le chercheur qui a le plus produit lors de la première étape puis sur la détermination du biais dynamique optimal. Les principaux résultats du modèle sont présentés dans les Propositions 1 à 3. Nous les rappelons successivement et discutons certaines de leurs implications éventuelles.

62Nous avons tout d’abord montré qu’il est toujours strictement sous-optimal qu’un biais statique affecte la compétition que ce soit en début ou en cours de carrière. En effet, de tels biais tendent à diminuer les efforts consentis par les agents qu’ils en soient bénéficiaires ou non. Ces biais peuvent notamment intervenir en raison d’une différence entre les capacités intrinsèques des agents (??t). Il est alors socialement efficace de mettre en œuvre des politiques qui pourraient compenser les biais initiaux intervenant dans la compétition entre chercheurs. Par exemple, des politiques visant à développer les formations doctorales et post-doctorales ouvertes aux jeunes chercheurs défavorisés par le biais initial semblent ainsi pertinentes d’un strict point de vue incitatif puisqu’elles pourraient stimuler leurs efforts (ainsi que ceux des jeunes chercheurs avantagés par le biais initial).

63En revanche, il est socialement opportun qu’une corrélation existe entre les premiers et les derniers succès. Bien que le traitement asymétrique des agents dans le second tournoi entraîne une diminution des incitations à l’effort dans le second tournoi, cet effet désincitatif est plus que compensé par un accroissement des incitations dans le premier tournoi, celui-ci résultant de l’accroissement de l’espérance de récompenses ultérieures induites par un succès dans la première étape. Ce résultat suggère que, contrairement à l’idée généralement admise, un certain niveau d’effet Saint Matthieu est socialement efficient : l’effet incitatif dû à l’anticipation de l’avantage cumulatif en début de carrière est supérieur à l’effet désincitatif en fin de carrière. Toutefois, lorsque ce biais devient trop important, l’effet désincitatif tend à l’emporter sur l’effet incitatif.

64Sous certaines spécifications standards de la fonction de production (linéaire) et de la fonction de désutilité de l’effort (quadratique), le biais optimal est indépendant de la structure de rémunération en vigueur. Ainsi, les écarts de rémunération entre les différents postes aux deux périodes n’influent pas sur le biais dynamique qu’il est socialement optimal d’offrir au premier gagnant. Sous l’hypothèse que les écarts des chocs aléatoires affectant la production sont normalement distribués autour de zéro, nous avons déterminé une expression du biais dynamique optimal. Le biais optimal est une fonction croissante du facteur d’actualisation des agents alors qu’il est une fonction décroissante du facteur d’actualisation social. Pour des raisons très voisines, le biais optimal s’accroît avec le rapport de productivité des agents au cours de leur carrière (senior/junior). En outre, le biais optimal est une fonction croissante de l’écart-type de la distribution des écarts des aléas affectant la production scientifique. Ainsi, plus l’activité de recherche est incertaine, plus le biais socialement désirable sera élevé augmentant encore les différences initiales. Enfin, nous avons montré que ce biais dynamique décroît avec l’ampleur des inégalités initiales (biais statique de première période). Lorsque les inégalités initiales (dues par exemple à la qualité de l’encadrement en thèse) sont élevées, il est pertinent de limiter les avantages cumulatifs affectant la productivité scientifique.

65Pour conclure, il nous faut souligner que la prise en compte des comportements stratégiques des universités pourrait enrichir l’analyse et offrir une première explication formalisée de l’effet Saint Matthieu qui reste ici considéré de manière exogène.

APPENDICE

Calcul des efforts d’équilibre de deuxième période

66Les calculs présentés ici sont réalisés en présence de biais statiques de deuxième période ??2. Des calculs identiques pourraient être conduits pour les biais dynamiques ??2, puisqu’ils ont stictement le même effet sur les efforts de deuxième période.

67La condition de premier ordre du programme donné en (3) est donnée par

68

equation im24

69La probabilité qu’a i de gagner le deuxième tournoi est donnée par :

70

equation im25

71en rappelant que G2 est la fonction de distribution des écarts de chocs aléatoires à la deuxième période. Dérivée par l’effort fourni par l’agent i, cette probabilité devient

72

equation im26

73Si on note : ?U2 ? U(w2 + ?2) – U(w2 – ?2) et V?(e2i) = ?V(e2i)/?e2i et si on remplace ces expressions dans la condition de premier ordre du programme (3), on obtient :

74

equation im27

75En posant le programme symétrique de l’agent j, et après avoir réalisé des combinaisons proches de celles réalisées pour i, nous obtenons une condition de premier ordre identique à celle obtenue pour i :

76

equation im28

77Définissons la fonction ?2(.), telle que ?2(x) = V?(x)/f2?(x). Cette fonction est une application de ?+ dans ?+. Puisque V?(0) = 0, cette fonction s’annule en 0(?(0) = 0). De plus, comme V? > 0, V? > 0 sur ?+* et comme f2? > 0 et f2? ? 0 on peut aisément montrer que cette fonction est strictement croissante : ??2 > 0. Étant croissante, sa fonction inverse ?– 12(.) l’est aussi. Nous pouvons réécrire les conditions de premier ordre au moyen de cette nouvelle notation :

78

equation im29

79Étant donné les hypothèses formulées précedemment relatives aux différentes fonctions en présence, ces deux équations sont de la forme e2i = h(e2j), et e2j = h(e2i) avec h une fonction continue sur ?+. Dès lors, si un équilibre existe, il est nécessairement symétrique avec e2i = e2j = e2 tels que e2 = h(h(e2)). Cet équilibre satisfait alors l’expression unique suivante :

80

equation im30

81Sachant que ?2(0) = 0, que ?2(.) est strictement continue, positive et croissante, et que equation im31 (puisque par hypothèse equation im32), alors cette expression admet une unique solution. En outre, dès lors que g2 > 0, ?U2 > 0 et f2? > 0, cette solution est strictement positive [12]. Nous pouvons réécrire la condition de premier ordre symétrique en faisant apparaître plus directement ?2, l’effort d’équilibre de Nash symétrique de deuxième période :

82

equation im33

Calcul des efforts d’équilibre de première période en présence de biais dynamique

83Désignons par pi la probabilité que, si i est vainqueur de la première étape, il soit aussi le vainqueur de la seconde compétition. Puisque le deuxième tournoi est désormais affecté par les résultats du premier, pi est bien une probabilité conditionnelle qui s’écrit formellement : pi ? P(y2i > y2j|y1i > y1j). Une fois la première étape du jeu terminée, le classement est établi et le bénéficiaire du biais dynamique est connu. Dès lors, celui-ci s’apparente à un biais statique. Ainsi, à l’équilibre de seconde période, tout se passe formellement comme dans le cas d’un biais statique. Notamment, les efforts des agents de deuxième période sont identiques (on a e2 = e2i = e2j) et on peut réécrire la probabilité de gain de la seconde période conditionnelle au gain de la première sans faire référence à l’identité des participants (p = pi = pj) de la manière suivante : p = [1 – G2(– ??2)]. De plus, en utilisant l’hypothèse selon laquelle g(.) est symétrique autour de 0, on peut écrire : p = G2(??2) et on a p ? 1/2 avec ??2 ? 0. Naturellement, la probabilité que le perdant de la première étape gagne la seconde est égale à : 1 – p.

84En utilisant ces notations et définitions, nous pouvons désormais préciser plus avant la détermination de ?W :

85

equation im34

86avec k = i, j. Après quelques simplifications, et en notant ?U1 = U(w1 + ?1) – U(w1 – ?1) à l’instar de la définition de ?2, nous obtenons :

87

equation im35

88La condition de premier ordre du programme de l’agent i à la première période (6) est donnée par

89

equation im36

90En introduisant l’expression de ?W dans cette condition, et appliquant quelques calculs similaires à ceux réalisés pour la seconde période, il vient [13] :

91

equation im37

92Une expression symétrique peut être posée résultant des calculs de l’agent j. Ces deux expressions sont structurellement identiques à celles posées pour la seconde période. Ainsi, et de la même manière qu’à la seconde période, nous savons qu’il existe un unique équilibre symétrique à la première période : ?1 = ?1i = ?1j. Il vient :

93

equation im38

94L’équilibre est simplement obtenu à partir de l’expression ci dessus et est donné dans l’équation (8). ?

Statique comparative en présence d’un biais dynamique

95Sachant que l’équation décrivant la maximisation de l’utilité intervenant à la seconde période donnée en (4) reste inchangée (en remplaçant ??2 par ??2), l’équilibre de Nash à la seconde période est donné en (7). L’équilibre de Nash parfait en sous-jeux à la première période est donnée en (8). Ces niveau d’effort d’équilibre de Nash aux deux étapes du jeu sont fonction de l’ampleur des biais ??1 et ??2 (les niveaux de rémunération étant donnés).

96Afin de caractériser les effets du biais dynamique ??2 sur les efforts à l’équilibre de Nash, nous réalisons les opérations suivantes :

97

equation im39

98Nous savons que ?– 11 est une fonction croissante. De plus, sachant que ??2 > 0 et que g2(.) a son unique extremum en 0, alors g2?(??2) est strictement négatif. La symétrie et l’unimodalité de G nous permettent en outre de savoir que G2(??2) ? 1/2 et donc de conclure que 2G2(??2) – 1 ? 0. Ainsi, nous pouvons conclure que ??2/???2 ? 0 et que ??1/???2 > 0. ?

Le biais dynamique optimal

99En utilisant les expressions des efforts d’équilibre (équations 7 et 8) et en les introduisant dans l’expression du surplus social espéré ci-dessus, il vient

100

equation im40

101La fonction de désutilité de l’effort est supposée quadratique : equation im41 et les fonctions de production des connaissances sont supposées linéaires en effort, avec : f2(e) = ?f1(e) = ?ae. Sous ces conditions : equation im42 et equation im43. De plus nous obtenons : equation im44 et equation im45. En utilisant ces spécifications, l’expression des profits espéré par chercheur devient :

102

equation im46

103Le biais dynamique socialement optimal est celui qui maximise le bénéfice social espéré. Il est donné par la réalisation du programme :

104

equation im47

105En dérivant le terme droit de l’expression du surplus social et en l’égalisant à zéro, nous obtenons la condition de premier ordre correspondant au programme du régulateur social :

106

equation im48

107Ainsi, lorsque ?1(.) et ?2(.) sont linéaires, le biais optimal est indépendant de l’écart de rémunération entre les deux postes aux deux étapes. La condition de second ordre est donnée par :

108

equation im49

109Pour étudier plus précisément ce biais optimal et afin de mettre en évidence les conséquences du respect de la condition de second ordre, on admet que les écarts des aléas aux deux périodes sont normalement distribués : ?t = 1, 2 ; ??t ? N(0, ?). En utilisant les expressions de g et g?, la condition de premier ordre nous donne directement le biais optimal :

110

equation im50

111Après quelques calculs, la condition de second ordre (20) devient :

112

equation im51

113On peut aisément montrer que le biais optimal (??2)* respecte toujours la condition de second ordre. Il est donc bien un optimum global. ?

Notes

  • [*]
    Adis, Faculté Jean Monnet, Université Paris Sud, 54 boulevard Desgranges, F-92331 Sceaux, et beta, cnrs, Université Louis Pasteur, 61 avenue de la Forêt Noire, F-67085 Strasbourg.
    Cet article a bénéficié des commentaires de Paul A. David, de Patrick Llerena, de Jean-Michel Plassard, de deux référés anonymes et des participants à la session « Recherche scientifique et connaissances » des 19e Journées de microéconomie appliquée qui se sont tenues à Rennes et à Saint-Malo, les 6 et 7 juin 2002. Toute erreur ou omission qui pourraient subsister restent de notre seule responsabilité.
  • [1]
    Cette loi est donnée par la fonction suivante : f(n) = an– k avec f(n) le nombre (ou la proportion) d’auteurs ayant écrit n articles, a et k étant les paramètres de la loi. Lorsque k = 2, cette expression est identique à la distribution proposée initialement par Lotka.
  • [2]
    La première mise en évidence des avantages cumulatifs dans le domaine académique a été introduite dans la thèse de H. Zuckerman soutenue en 1965 sous la direction de R.K. Merton et consacrée à l’étude des carrières des lauréats du prix Nobel.
  • [3]
    Sa définition est la suivante :
    « The concept [of cumulative advantage], applied to the domain of science, refers to the social processes through which various kinds of opportunities for scientific inquiry as well as the subsequent symbolic and material rewards for the results of that inquiry, tend to accumulate for individual practitioners of science, as they do for organizations engaged in scientific work. The concept of cumulative advantage directs our attention to the ways in which initial comparative advantage of trained capacity, structural location, and available resources make for successive increments of advantage such that the gaps between the have and the have-not in science widen until hampered by countervailing processes. » (Merton [1968].)
  • [4]
    L’étude de Zivney et Bertin [1992] supporte l’hypothèse d’une corrélation positive entre productivité et salaire au cours de la carrière. Ils montrent que les chercheurs tenured dans les vingt-cinq départements de Finance les plus réputés des universités américaines sont aussi les mieux rémunérés sur l’ensemble de leur carrière. L’idée selon laquelle la production scientifique de début de carrière est déterminante pour le salaire reçu sur toute la carrière est confortée par l’étude de Siow [1991]. En effet, celui-ci rapporte que le rendement additionnel d’un article, publié un an après la soutenance de thèse, est de 1 % sur le salaire de fin de carrière, alors qu’il est de 0,2 % pour un article publié vingt ans après l’obtention du doctorat. De plus, il montre que le rendement additionnel des citations décroît avec l’âge auquel les citations ont été reçues.
  • [5]
    Cole [1970] a montré, qu’à qualité donnée de la recherche (mesurée par le nombre total de citations), le niveau initial de réputation d’un scientifique, ainsi que celui de l’institution à laquelle il est affilié, tendent à augmenter la vitesse initiale de diffusion de la recherche (observé sur les courbes temporelles d’arrivée des citations sur les articles publiés).
  • [6]
    Même si ces postes peuvent aussi souvent s’accompagner par un plus grand nombre de charges administratives se traduisant, de facto, par un temps plus réduit consacré à la recherche. Nous remercions un référé anonyme pour nous avoir suggéré ce point.
  • [7]
    Afin de simplifier notre modèle, nous faisons l’hypothèse que les chercheurs ne valorisent que les salaires. Bien que cette hypothèse soit communément admise dans la formalisation des préférences des salariés, il peut apparaître que d’autres satisfactions non monétaires pourraient aussi être considérées.
  • [8]
    Cette distinction est purement une question de notation en cela que « techniquement » rien ne distingue ??1 de ??1 qui sont tous deux des biais statiques (au sens de la Définition 2) de première période.
  • [9]
    Il s’agit d’un équilibre de Nash simple (et non d’un équilibre de Nash parfait en sous-jeux comme dans la section suivante) puisque, lorsque le biais dynamique de deuxième période est nul, la compétition de deuxième période est indépendante du déroulement du jeu de première période.
  • [10]
    La fonction ?1(.) est définie de manière similaire à ?2(.), c’est-à-dire telle que ?1(.) ? V?(x)/f1?(x).
  • [11]
    Ces coûts totaux par tête sont indépendants des parts variables des rémunérations ?1 et ?2, puisque, étant retranchées au salaire le plus bas et ajoutées au salaire le plus élevé, celles-ci n’affectent pas le salaire total.
  • [12]
    Les conditions de second ordre sont respectées dès lors que la distribution de ??2 est suffisamment dispersée.
  • [13]
    Il faut observer ici que la symétrie de la fonction de densité autour de 0 nous permet de conserver la symétrie de l’équilibre, en utilisant la propriété suivante : gt(??t) = gt(– ??t), ?t = 1, 2.
Français

Résumé

Cet article traite principalement des propriétés incitatives de l’effet Saint Matthieu par lequel Merton [1968] rend compte de l’ensemble des avantages cumulatifs avérés affectant la compétition académique. Nous proposons un modèle de tournois séquentiels dans lequel les agents qui se sont montrés initialement les plus productifs vont être avantagés dans la suite de la compétition en cela qu’ils bénéficient des postes de recherche auxquels sont associés une plus grande productivité. Nous montrons notamment qu’il y a un niveau optimal d’effet Saint Matthieu et que ce biais dynamique optimal croît avec le caractère risqué de la recherche et décroît avec l’ampleur des inégalités initiales.

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Nicolas Carayol [*]
  • [*]
    Adis, Faculté Jean Monnet, Université Paris Sud, 54 boulevard Desgranges, F-92331 Sceaux, et beta, cnrs, Université Louis Pasteur, 61 avenue de la Forêt Noire, F-67085 Strasbourg.
    Cet article a bénéficié des commentaires de Paul A. David, de Patrick Llerena, de Jean-Michel Plassard, de deux référés anonymes et des participants à la session « Recherche scientifique et connaissances » des 19e Journées de microéconomie appliquée qui se sont tenues à Rennes et à Saint-Malo, les 6 et 7 juin 2002. Toute erreur ou omission qui pourraient subsister restent de notre seule responsabilité.
Pour citer cet article
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